Marthe Robert, cette prestigieuse analyste du langage, allait dans ce sens : « La querelle des mots si mal vue de la morale commune n'est pas du tout l'occupation de gens superficiels et tatillons, mais bien le seul combat qui vaille peut-être encore la peine d'être mené. » En pleine guerre, en pleine occupation de son pays par les troupes allemandes, André Gide s'obstinait dans son Journal à se concentrer sur des problèmes de sémantique, de vocabulaire, voire d'orthographe, fort pointus ; sans doute lui en a-t-on fait dans son entourage quelque remarque étonnée, car il s'en justifie, affirmant qu'il n'y avait point là, de sa part, de fuite ou d'indifférence, mais que lorsque tout paraît perdu, il reste le soin de sa propre langue qui est le bien le plus précieux que l'on transporte avec soi.

La langue est un tissu vivant dont il faut respecter la lente maturation qui remonte si loin dans l'histoire. Les projets de réforme de l'orthographe, tendant à réduire artificiellement l'expression écrite à un simple exercice phonétique, ne sont jamais parvenus à s'imposer. C'est bien ainsi et nous ne sommes pas à la veille de pouvoir nous dispenser du dictionnaire ou d'un guide comme celui qui fait l'objet de cette préface. On admettra aisément que si nous sommes désireux de conserver à la langue ses racines et son génie propre, ce petit effort de consultation ou de contrôle n'a rien d'excessif.

Il faut rendre hommage aux humanistes, gardiens vigilants de la langue française, qui, sans freiner à tout prix sa nécessaire évolution, veillent à ce qu'elle conserve sa logique, sa cohérence et son unité. Cet hommage doit s'étendre, sans réserve, aux auteurs du présent ouvrage. Car chacun s'accorde à reconnaître que le Guide du Typographe est un instrument irremplaçable. Sa réputation, qui est grande, ne cesse de se conforter. Amélioré, complété, d'édition en édition, par une équipe de professionnels aussi dévoués que compétents, il est beaucoup plus qu'un simple guide. En luttant contre les inexactitudes de toutes sortes et le débraillé du langage, il s'impose comme référence de base à tous ceux qui font métier, dans les arts graphiques ou la presse, d'écrire, de composer et de corriger.
Il faut les remercier ici d'avoir su maintenir cette indispensable tradition, avec fidélité et talent.

Marc Lamunière

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